En 1917 parut un petit livre érotique dans une édition réservée aux souscripteurs, imprimée en 810 exemplaires numérotés. Intitulé Le Divan d’Amour du Chérif Soliman et dédié « à tous les poètes orientaux et africains », il se présente comme un récit autobiographique traduit de l’Arabe. Il relate, dans un style orientaliste mêlant clichés et anachronismes, la vie amoureuse d’un Algérien nommé Soliman, de son adolescence jusqu’à l’arrivée de la vieillesse.
L’auteur se revendique chérif, c’est-à-dire descendant du prophète de l’Islam. Il affirme que son grand-père chevauchait à droite de l’émir Abdelkader, qui combattit la colonisation française de l’Algérie. Cependant, il se proclame à la fois musulman et Français, fils de la République. Il ne donne pas la date de sa naissance, ni son âge au moment d’écrire ; la préface du livre dit « qu’il fut, en 1879, le Sultan des jouvenceaux d’Alger ».
Le Livre Premier, intitulé Baisers algérins, raconte ses premières aventures amoureuses dans la ville d’Alger. Lycéen âgé de quinze ans, il rencontre d’abord une fille d’une douzaine d’année, Mimi, qu’il séduit et dépucelle. Je donne ici les chapitres II à V, qui décrivent leurs ébats.
La Livre Premier relate ensuite les autres conquêtes amoureuses de Soliman à Alger, mais celui-ci revient toujours à Mimi, sa préférée. Malheureusement, celle-ci meurt à quinze ans d’un accès de fièvre. Il l’enterre devant la mer et « Les pleurs de Soliman ruissellent, rouges comme des grains de grenade. »
II
MIMI
Je suis en visite chez mon ami le jeune marchand de tabac de la place Malakoff, par le plus voluptueux crépuscule du monde.
Moustafa observe lourdement deux tourterelles qui s’accouplent. Je savoure la brise humide et parfumée qui semble avoir pénétré, en passant, toutes le jolies vierges des pays d’outre-mer.
Six heures sonnent. Les femmes sortent du bain de la rue de l’État-Major.
Je ne l’avais pas remarquée. Sous le caleçon, le pantalon et le double haïk, elle a l’air d’un paquet fagoté, comme toutes les petites personnes très pieuses.
Mais elle se retourne vers la boutique de Moustafa, me lance, à moi seul, un long regard, et dénoue le mouchoir jaune qui lui cache le visage.
Cette gazelle au collier d’émeraudes et au teint de cristal affolerait même un blasé du mont Kâf.
Heureusement, elle a sur les lèvres, je le devine, le miel qui guérit toutes les peines du cœur, et la négresse qui la chaperonne me fait un bon sourire d’entremetteuse.
Moustafa, impassible, dit :
— « Je la connais. Elle s’appelle Mimi. Elle n’a pas encore d’amoureux. Elle est orpheline. Elle demeure à la Kasba, en face de la fontaine des génies convertis. »
Je remercie le marchand de tabac et je suis ma conquête.
III
DU SANG SUR LES ROSES
La bonne vieille a compté les pièces d’or : elle met dans son poing gauche le majeur de sa main droite et soulève un rideau bleu.
Je comprends.
Mimi attendait le Chérif Soliman, toute nue, parmi des coussins et des étoffes chatoyantes, sur un vaste divan rouge.
Elle me saute au cou, m’embrasse les paupières, me mordille les joues, me suçote la bouche et me déshabille, avec des mignardises, en me racontant son histoire.
Mimi est née, il y a bientôt douze ans, à Bou-Sâda, sous un palmier, au bord de l’oued limpide. Comme elle était gentille, on vint chercher fortune à Alger. La nourrice employa les dernières économies au trousseau et à l’ornementation de la chambre.
Je saccage les corbeilles et je répands des feuilles de roses sur le divan rouge. Puis, je prends ma fiancée par la taille.
Me voici nu sur Mimi nue. Je sens une chair ferme sous une peau douce comme de la crème, des seins frais qui pointent, des fesses rebondies que ma caresse gonfle et durcit encore. Je vois, sur la gorge blanche, un grain de beauté mordoré qui m’enthousiasme.
Le cri nuptial a jailli dans la pénombre.
Le négresse nous épiait, derrière le rideau bleu. Elle s’empresse vers Mimi et lui donne des soins maternels. La blessée ne pleure déjà plus : elle sourit ; elle semble fière d’avoir été dépucelée par un Chérif.
Je fume une cigarette de Turquie, en regardant, sur un pétale couleur de soufre, une goutte de sang qui sèche.
IV
MES DÉFAUTS
Soliman voudrait faire naufrage dans cette Ile des Femmes que décrit un petit livre d’or, Les Merveilles de l’Inde : il se sent de force à rassasier des milliers d’Amazones.
Chaque fois, c’est la même comédie.
Mimi pleurniche et proteste en disant :
— « Assez ! Tu me déchires ! Tu es trop terrible et trop immense, ô Chérif ! J’irai me plaindre au juge de paix ! »
Puis, on se fâche et on se tourne le dos.
Nous voilà étendus, chacun de son côté, fesses contre fesses.
Mais une demi-heure ne se passe pas sans qu’un frétillant coup de reins me réinvite à la chevauchée.
Alors, je récidive à outrance, et la nourrice, en m’admirant, se ressouvient du chamelier qui la violait, il y a cinquante ans, sur le sable de feu, par une journée de siroco.
V
COMPLAISANCES RÉCIPROQUES
Le bout de ma langue doit être couleur de mandarine, et j’ai dans la bouche un goût de henné.
Il s’agissait d’amadouer Mimi pour qu’elle m’accordât la même faveur que mon camarade Lucien n’a pas honte de m’offrir.
D’abord, je lui ai fait, longuement, la plus tendre des caresses, à la manière des eunuques adolescents des harems de la Mekke. Pendant ce temps, une légère odeur de menthe ou de marjolaine me ravissait, et le bout de ma langue s’humectait sans se barbouiller.
Mais, ensuite, il a fallu que ce pauvre Soliman léchât tour à tour les ongles, les paumes, les orteils et les dessous des pieds à cette cruelle qui refusait encore.
Enfin, elle rit, chatouillée, et murmure :
— « Laisse-moi, ô Sultan des amoureux ! Tu me fais mourir ! D’ailleurs, tu as bien gagné ta récompense. Regarde : me voilà couchée à ta fantaisie ! »
Aussitôt, je procède à la perforation nécessaire. Chacun de mes efforts arrache un gémissement à la novice, mais plus elle souffre, plus mon plaisir augmente, et tout s’arrange, puisque nous nous pâmons ensemble.
Source des textes : Le Divan d’Amour du Chérif Soliman — Traduit de l’Arabe sur le manuscrit unique par Iskandar-al-Maghribi, Paris : Bibliothèque des curieux (1917), numérisé sur Internet Archive.
Ces quatre chapitres ont été transcrits dans la collection de textes L’Univers sensuel, sexuel et sentimental de la Fillette impubère, au travers de l’Histoire, de l’Ethnographie et de la Littérature, Tome I : Interactions entre enfants par François Lemonnier. Merci à lui pour avoir attiré mon attention sur ce livre.
NB. D’après une note de François Lemonnier, le livre Les Merveilles de l’Inde mentionné dans le chapitre IV est une compilation des récits de voyage rédigés entre 900 et 953 par Buzurg ibn Shahriyar Ram’Hurmuzi, un capitaine de navire marchand de la province persane du Khuzistan.