
Le Chérif Soliman, lycéen à Alger, multiplie les conquêtes amoureuses. En plus de sa jeune fiancée Mimi, il séduit des femmes et des filles de divers âges, dont les petites Mouni, Merïem, Bedra et Khreïra. Maintenant il monte en puissance et invite six petites filles à le suivre.
XVI
LES SIX PETITES KABYLES
Je viens de rencontrer, sur la place du Gouvernement, mes camarades internes en promenade : divers, mais tous jolis à croquer, ils ne m’ont pourtant pas troublé. Certains ont eu beau se retourner, « Soliman le Magnifique » (c’est mon surnom, au lycée) n’a pas répondu à leurs œillades.
Il fait un temps d’amoureuse aventure. J’enfourche ma jument barbe Al-Borak, dont la crinière noire jette des éclairs, je monte à El-Biar, et je suis au pas, en rêvant, mon chemin favori, celle des deux routes d’El-Biar à Ben-Sahnoum que les passants ne choisissent presque jamais.
Al-Borak marche élégante et altière, parmi les fleurs et la verdure. Le chemin est si charmant qu’on s’attend à trouver au bout le Gulistan intime d’un prince des Génies, et qu’on s’étonne de n’y pas rejoindre le divin Cheikh Sâdi, en train de philosopher avec l’élite de ses élèves.
A notre gauche, les propriétés silencieuses arborent l’écriteau avertisseur : « Il y a des pièges ! » Le Chérif Soliman n’est pas un maraudeur : le voilà pris tout de même ; il tombe dans un piège à cœurs. Mais il s’y délecte.
En effet, ma deuxième rencontre gracieuse de la journée surgit à un détour du chemin verdoyant.
Six petites filles marchent à la queue leu leu, par rang de taille, derrière l’aînée de la bande.
Cette fois, j’ai hâte de me laisser séduire.
Chacune des six petites filles est vêtue d’une chemise très courte, aux larges déchirures.
Toutes les six ont les dents brillantes comme des perles et les jambes teintes en jaune de topaze.
La première a une chemise brune et une turquoise persane sur la gorge, en guise de talisman.
La seconde a une chemise mauve et un suçon, si je ne me trompe, à l’épaule droite.
La troisième a une chemise rouge et un signe très noir sur la cuisse gauche.
La quatrième a une chemise mordorée et une fossette mutine au menton.
La cinquième a une chemise bleue et le bout du nez retroussé.
La sixième a une chemise verte et un coquelicot dans les cheveux.
Al-Borak s’arrête et les petites filles en font autant. Elles me sourient toutes les six.
Je procède à l’interrogatoire :
— « Qui êtes-vous ? »
C’est la troisième, la plus dégourdie, qui me répond :
— « O Seigneur ! Nous venons de la montagne. Nous sommes six petites Kabiles du même village. Une tribu ennemie a brûlé tous les gourbis. Les hommes se sont enfuis. Alors la femme de notre oncle nous a conduites jusqu’à Ben-Sahnoun, et elle nous a quittées en nous disant d’aller mendier. Comment t’appelles-tu, beau Seigneur ? Mon nom est Yamina. »
La brise entremetteuse relève encore la chemise rouge.
Alors, je reprends d’une voie gaie :
— « Je suis le Chérif Soliman, ô mes tourterelles orphelines ! et je vous emmène. »
Puis je tourne bride, et les six petites filles suivent le pas fringant d’Al-Borak, à la queue leu leu.
J’ai loué près du café d’Hydra une villa où mourut naguère un lord ataxique. Une sorte de forêt vierge, où les eucalyptus et les platanes se mêlent à d’énormes saules pleureurs, cache entièrement la maison.
Tandis qu’un Soudanais soigne Al-Borak, une miss irlandaise lave et parfume les six petites filles.
J’attends, la cigarette aux lèvres, dans une vaste chambre que meublent, outre mon rocking-chair, un immense divan écarlate et des miroirs.
Les six petites filles font leur entrée, à la queue leu leu, par rang de taille, derrière l’aînée de la bande.
Elles sont toutes nues, maintenant.
La première sent le foin coupé, la seconde la rose, la troisième, mon amie Yamina, le muguet, la quatrième le réséda, la cinquième la violette de Parme et la sixième l’iris.
Je sonne. Cinq jolies servantes nues se présentent. Je me déshabille aussi.
C’est moi qui m’occupe de Yamina. Mes servantes donnent la leçon d’amour aux cinq autres petites filles. Les glaces reflètent, pendant trois heures, des jeux charmants.
Après quoi, on se réconforte de vin bougiote et d’un plantureux couscouss au beurre frais. Puis j’arrange moi-même autour du cou de chacune des petites filles une bourse pleine d’or, et je les renvoie à la femme de leur oncle.
Source des textes : Le Divan d’Amour du Chérif Soliman — Traduit de l’Arabe sur le manuscrit unique par Iskandar-al-Maghribi, Paris : Bibliothèque des curieux (1917), numérisé sur Internet Archive.
Ce chapitre a été transcrit dans la collection de textes L’Univers sensuel, sexuel et sentimental de la Fillette impubère, au travers de l’Histoire, de l’Ethnographie et de la Littérature, Tome I : Interactions entre enfants par François Lemonnier. Merci à lui pour avoir attiré mon attention sur ce livre.