Auguste Gaud (1857–1924) est un poète et écrivain poitevin. Fils d’un cordonnier et d’une couturière, il exerça le métier paternel avant de se lancer dans la littérature. À partir de 1903, il fut juge de paix.
Il publia d’abord de nombreuses œuvres en français ayant pour toile de fond la culture paysanne de sa région. A partir de 1895, il devint le chef de file du Félibrige Poitevin, un mouvement régionaliste qui, à l’instar du Félibrige de Frédéric Mistral, faisait la promotion du dialecte, de la culture et du folklore du Poitou-Saintonge. Il se mit alors à écrire des morceaux en poitevin-saintongeais.
En 1892 il publia chez Clouzot Au pays natal, recueil de vers consacrés à la vie dans les campagnes. J’y ai sélectionné un poème nostalgique évoquant un amour perdu d’enfance.
MA PETITE VOISINE
A René Guyel.
ELLE avait dix ans ; moi, j’en avais douze,
Et, je me souviens de ces jours lointains,
Où, pour égayer nos jeux enfantins,
Je lui rapportais des nids sous ma blouse.
Nous étions voisins et notre maison,
Au bord du chemin, touchait à la sienne ;
Je la vois encor ouvrant sa persienne,
Où, parfois vibrait sa douce chanson !
Elle répondait au nom de Suzanne,
Et son œil avait l’éclat du ciel bleu ;
Son joyeux babil m’amusait un peu,
Et j’aimais son teint frais de paysanne.
Je la rencontrais au fond de la cour,
Et puis nous jouions sur un banc de pierre,
Non loin d’un vieux mur tapissé de lierre,
Où l’oiseau chantait, dès le point du jour.
Et, dans le jardin, le long d’une haie,
Où le clair soleil dardait ses rayons,
Nous courions après les bleus papillons,
Que nous poursuivions jusqu’à l’oseraie.
Nous nous arrêtions au bord du ruisseau,
Et rêvions assis à l’ombre des saules :
Leurs branches, parfois, frôlaient nos épaules ;
Des poissons d’argent nageaient à fleur d’eau.
Et, dans la prairie où broutait sa vache,
Parmi les muguets et les boutons d’or,
Un martin-pêcheur prenait son essor,
Agitant sa queue, ainsi qu’un panache.
Des bouvreuils sifflaient sur les églantiers,
Et prenaient leur vol en rasant nos têtes ;
De petits bergers caressaient leurs bêtes,
Tout en revenant par les verts sentiers.
Les taureaux beuglaient ; poulains et cavales
Gambadaient joyeux devant les troupeaux ;
Aux creux des fossés chantaient les crapauds,
Et l’on entendait le cri des cigales…
Suzanne marchait toujours près de moi,
Tout en relevant sa jupe d’indienne,
Sa petite main tremblait dans la mienne ;
Puis, elle riait sans savoir pourquoi.
Elle m’embrassa quand nous nous quittâmes ;
Des larmes brillaient dans son clair regard…
Je ne la revis que dix ans plus tard,
Et d’autres amours vivaient dans nos âmes !…
Mais, depuis souvent aux heures d’ennui,
J’évoque Suzanne à la lèvre rose…
Tel qu’un ver luisant au sein d’une rose,
Son doux souvenir dans mon cœur a lui…
Source du poème : Auguste Gaud, Au pays natal : idylles & poèmes, Niort : L. Clouzot, Libraire-Éditeur (1893), numérisé sur Gallica (disponible en PDF). Le poème est page 110.
Plus d’informations concernant cet écrivain sur le site Cimetières du Mellois.