
Aux époques de fausseté et de barbarie, rien ne vaut l’excès. La modération devient alors une faute.
La violence des jeunes
(Qui n’est pas plus fréquente
Que celle des adultes)
S’étale dans la presse,
Secoue le parlement.
On en fait un scandale…
Justice trop laxiste,
Parents démissionnaires.
Il faut mieux réprimer :
On vote donc des lois.
Désormais ce sera
La même punition
Aux jeunes qu’aux adultes,
Mais pas les mêmes droits :
Sois sage mais tais-toi.
Violence des parents…
Tant que ça ne prend pas
De forme sexuelle,
Ce n’est pas un problème
Touchant la politique.
Les parents peuvent donc
Affamer, torturer,
Battre à mort leurs enfants,
On appelle cela
Un drame familial.
Ce sont des faits divers
Pour les journaux télé,
Vite on les oubliera.
Pas de nouvelles lois,
Ni commissions d’enquête.
Quand les adolescents
Regardent du porno,
On proclame cela
Un horrible problème,
Un danger pour l’enfance.
Cela va dévoyer
Leur sexualité,
Les traumatiser tous,
Les rendre misogynes
Et adeptes du viol.
Branle-bas de combat !
Vite, nouvelles lois !
Contrôlons l’internet,
Fini l’anonymat,
Finie la vie privée…
Enfants sans liberté,
De plus en plus couvés,
Sans cesse surveillés,
Une vie enfermée
Entre école et maison.
Jeunesse bâillonnée,
Toujours plus déprimée.
Des parents bien zélés
Leur mettent des balises,
Des logiciels espions.
On croit que pour l’enfance
Liberté est danger,
Ignorance est vertu,
Abstinence est santé,
Plaisir est décadence.
Relations sexuelles
Avant l’âge officiel,
Qu’ils soient d’accord ou non,
Aucune différence,
Le sexe traumatise.
Grande obsession d’enfants
Dragués sur internet,
Pris dans des films porno…
L’occasion de voter
Des lois liberticides.
Décrypter les messages,
Et tout enregistrer ;
Censurer les artistes,
Les bandes dessinées
Et les réseaux sociaux.
On n’aime pas les jeunes,
On doit les contrôler ;
Et des enfants on n’aime
Qu’une image innocente
À ne pas transgresser.
Enfants privés d’amour,
Ce n’est pas un problème.
Aimer trop les enfants,
Et surtout ceux des autres,
C’est un grave problème.
On préfère la haine
Des enfants différents,
Des jeunes insoumis,
Des déviants sexuels,
Et de la liberté.
C’est le carnaval des bigots, des racistes et des hypocrites, tous portent un beau déguisement. Ils paradent fièrement et font beaucoup de bruit. C’est le carnaval des riches, les pauvres se déguisent si mal. Je préfère rester chez moi et éviter ces célébrations réactionnaires.
Un jour viendra ma fête, avec les parias, les rebelles et les déviants. Pas de déguisement, montrez vous tels que vous êtes.

En juin deux mille neuf,
On n’entend plus la voix
De Typhaine, cinq ans,
Morte sous la torture
Qu’infligeait sa maman.

Sept août deux mille neuf,
On n’entend plus les cris
De Marina, huit ans,
Morte sous la torture
Qu’infligeaient ses parents.

En mai deux mille treize,
On n’entend plus le souffle
De Fiona, cinq ans,
Tuée par sa maman.
Toujours ça se répète.
Depuis, on a inventé un nouveau concept politique, le féminicide, qui désigne le meurtre d’une femme adulte cisgenre possédant la citoyenneté et vivant en couple hétérosexuel. Oubliez les travailleuses du sexe transgenre, oubliez les migrantes perdues en mer, oubliez les petites filles, elles n’ont pas droit à la parole politique, elles ne sont que des faits divers.
Quand viendra ma fête, les oubliées viendront, on s’amusera bien et je boirai à la santé des petites filles.

Printemps deux mille vingt,
C’est le confinement,
La peine capitale.
Amandine a treize ans,
Et elle voit la fin.
« Je vais mourir, je vais mourir »
Coupée de l’extérieur,
Privée de nourriture,
Privée de vêtements,
Humiliée, enfermée
Dans un débarras noir.
Six août deux mille vingt :
Morte à vingt huit kilos.
La haine des enfants,
Triomphant à nouveau,
S’offre un nouveau festin.
Quand les enfants tueront leurs parents aussi souvent que l’inverse, les médias et les élus décréteront une mobilisation nationale contre la violence des jeunes.
Il y a dans le monde
Quelques peuples de trop,
Interdits d’exister,
Comme les Rohingya
Et les Palestiniens.
On peut les expulser,
On peut les massacrer.
Les enfants bombardés
Seront à la télé
Entre deux faits divers.
Mais de leurs traumatismes
On ne parlera pas,
Car les droits de l’enfant
Ne sont pas pour ceux-là,
Ce sont les droits des riches.
Défendez les enfants
De ces peuples maudits,
Vous voilà très suspect.
Aimez trop les enfants,
Vous voilà un pervers.
Contre ça, rien de mieux
Que des actions musclées :
Descentes de police
Et suspects menottés.
Gros titres dans la presse.
Droit, morale et justice,
Un immense massacre,
Protection de l’enfance,
Le grand bal des tartuffes.
La pourriture règne.
Écart absolu — prenons le sens inverse !
Rupture totale — larguons les amarres !
La fête bat son plein.