A Batignolles, par Aristide Bruant

Théophile Alexandre Steinlen - A Batignolles - Dans la rue
Théophile Alexandre Steinlen – illustration pour la chanson A Batignolles du recueil Dans la rue (1889) – Gallica

Aristide Bruant est né le 6 mai 1851 dans une famille bourgeoise à Courtenay dans le Loiret. Suite à la ruine de ses parents, il doit à 16 ans abandonner de brillantes études, il les rejoint à Paris et travaille comme ouvrier bijoutier. Il fréquente les restaurants pour pauvres et les cafés d’ouvriers, se mêlant aux classes populaire et apprenant leur langage.

Après la guerre franco-prussienne, il travaille à la Compagnie des chemins de fer du Nord. Il étudie les origines de l’argot et se met à écrire des romances. Le soir, il chante dans les goguettes, et écrit ses premières chansons. Puis il passe sur les scènes des cafés-concerts. Il se produit ensuite dans le Chat noir, un célèbre cabaret de Montmartre, et enfin crée son propre cabaret, le Mirliton. Son costume de scène a été immortalisé par la peinture de Toulouse-Lautrec :

Henri de Toulouse-Lautrec - Aristide Bruant dans son cabaret
Henri de Toulouse-Lautrec – Aristide Bruant dans son cabaret (1892) – Wikimedia Commons

En 1889, la publication du premier volume de Dans la rue, son recueil de chansons et monologues, illustré par Steinlen, fait sensation. Une dizaine d’années plus tard, devenu riche, il s’achète un château à Courtenay, sa ville natale. Au début du XXe siècle, il se retire de la chanson pour se consacrer à l’écriture. Il meurt le 11 février 1925 à Paris 18e.

La deuxième chanson du premier volume de Dans la rue décrit la vie d’une jeune prostituée :

A BATIGNOLLES

Sa maman s’appelait Flora,
A connaissait pas son papa,
Tout’ jeune on la mit à l’école,
A Batignolles.

A poussa comme un champignon,
Malgré qu’alle ait r’çu pus d’un gnon,
L’soir, en faisant la cabriole,
A Batignolles.

Alle avait des magnièr’s très bien,
Alle était coiffée à la chien,
A chantait comme eun’ petit’ folle,
A Batignolles.

Quand a s’balladait, sous l’ciel bleu,
Avec ses ch’veux couleur de feu,
On croyait voir eune auréole,
A Batignolles.

Alle avait encor’ tout’s ses dents,
Son p’tit nez, oùsqu’i pleuvait d’dan,
Était rond comme eun’ croquignolle,
A Batignolles.

A buvait pas trop, mais assez,
Et quand a vous soufflait dans l’nez
On croyait r’nifler du pétrole,
A Batignolles.

Ses appas étaient pas ben gros,
Mais je m’disais : Quand on est dos,
On peut nager avec eun’ sole,
A Batignolles.

A gagnait pas beaucoup d’argent,
Mais j’étais pas ben exigeant !…
On vend d’l’amour pour eune obole,
A Batignolles.

Je l’ai aimée autant qu’j’ai pu,
Mais j’ai pus pu lorsque j’ai su
Qu’a m’trompait, avec Anatole,
A Batignolles.

Ça d’vait arriver, tôt ou tard,
Car Anatol’ c’est un mouchard…
La marmite aim’ ben la cass’role,
A Batignolles.

Alors a m’a donné congé,
Mais le Bon Dieu m’a ben vengé :
A vient d’mourir de la variole.
A Batignolles.

La moral’ de c’tte oraison-là,
C’est qu’les p’tit’s fill’s qu’a pas d’papa,
Doiv’nt jamais aller à l’école,
A Batignolles.

Source de la chanson : Aristide Bruant, Dans la Rue, Chansons & Monologues, Dessins de Steinlen, Paris : Aristide Bruant, auteur éditeur (1889). Numérisé sur Internet Archive et sur Gallica. Le poème est le 2e, pages 15–21. L’ensemble des 3 volumes a été transcrit en hypertexte sur Wikisource ; j’y ai repris la transcription du poème, en y rétablissant la typographie originale, sans accent sur les majuscules.

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