Je reproduis ici le dix-huitième poème de la collection Premiers Vers, rassemblant les œuvres d’adolescence et de jeunesse de cet écrivain, pleines de fraîcheur.
Dans l’eau est née une fleur, une fillette farouche. Pour qui s’ouvrira sa corolle ?
FLEUR D’EAU
par Pierre Louÿs
Hors de l’eau, hors du courant qui flue,
Une fille est éclose au soleil,
Effarouchée encore de sommeil,
Et courbe sa nuque chevelue
Dans les gloires du couchant vermeil.
Les flots légers qui chantent charrient
Des frissons d’ors, lambeau par lambeau.
Sa gorge grise tremble sur l’eau ;
Sa bouche est grave, mais ses yeux rient
De voir le fleuve errer sur sa peau.
Les flots légers, les petites vagues
Glissent contre elle amoureusement,
Et cependant sous le firmament
La fleur d’eau rêve des choses vagues
Et penche la tête ingénument.
Au rythme de la brise bercée,
Elle attend la fraîcheur de la nuit.
La brume des eaux qui tremble et qui luit
Vers la mer d’or au ciel dispersée
S’élève ; la fleur s’épanouit.
Ô brune enfant, fleur d’eau, fleur fillette,
Fille en bouton, pour qui grandis-tu ?
Ton corps d’eau reluisante est vêtu :
Qui fera tomber cette paillette,
Fausse et vaine comme la vertu ?
Aux yeux de quel heureux ta corolle,
Close encor, va s’ouvrir ? Je ne sais…
Source du poème: Œuvres complètes de Pierre Louÿs, 1929 – 1931, tome 13 (1929 – 1931), Poésies, réimpression Slatkine (1973), sur Wikisource.