À la lune, par Antonine Coullet

Jean Delville – Paysage au clair de lune (1887–90) – Art Renewal Center

La poétesse et romancière française Antonine Coullet-Tessier, née à La Roche-sur-Yon le 10 janvier 1892 et morte à Caen le 28 avril 1983, connut un certain succès comme enfant poète, publiant à onze ans son premier recueil, Poésies d’une enfant (Lemerre, 1903, 71 pages). En 1904, elle fit paraître plusieurs poèmes dans la livraison du 15 juillet de la Revue des Deux Mondes, qui les présenta en ces termes :

Nous donnons dans leur forme primitive, et sans rien y changer, ces vers qui sont d’une enfant de douze ans.

J’en ai extrait celui qui me paraît le plus beau ; à nouveau son thème est la lune, ce petit astre qui semble avoir si bien inspiré la jeune poétesse.

À LA LUNE

Les oiseaux vont au nid dans les guérets profonds,
Et les lourds orangers parfument les vallons.
Tremblante au bord du ciel qu’un rayon pâle azure,
Vesper dans les ruisseaux mire ses cheveux blonds :
— J’entends le vent du soir gémir dans la verdure.

Soudain un frais rayon large, tiède et doré,
Lança son feu léger de poudre d’or nacré
Et la lune, soudain, mystérieuse et pure,
Montra son pâle front, et de vapeurs poudré…
— J’entends le vent du soir gémir dans la verdure

Que fais-tu dans le ciel, inconnue aux doux yeux,
Dont l’écharpe d’azur aux plis capricieux
Semble sur ton épaule une fraîche ramure ?
Que fais-tu, solitaire et blanche dans les cieux ?
— J’entends le vent du soir gémir dans la verdure.

Es-tu donc quelque rêve égaré dans la nuit ?
Comme une fleur penchée et qui manque d’appui,
Sur l’onde glisse et luit ta pâle chevelure…
D’un céleste jardin es-tu le divin fruit ?
— J’entends le vent du soir gémir dans la verdure

O lune large et belle au fond du ciel serein,
Aux siècles affaissés, au siècle souverain
Tu souris dans l’argent de ta fine guipure.
Inconstante au malheur, tu souriras demain…
— J’entends le vent du soir gémir dans la verdure.

Pâle reine des nuits, est-ce toi qui, le soir,
Dans ton voile léger viens sur mon front t’asseoir,
Toi dont le chaud baiser semble quelque morsure,
Est-ce toi qui frémis en un nuage noir ?…
— J’entends le vent du soir gémir dans la verdure.

Blanche fleur de la nuit, lune au pâle regard,
Un parfum d’oranger glisse de toutes parts…
Toi qui n’as point connu la sombre flétrissure,
Vers mon cœur frémissant ouvre tes yeux blafards…
— J’entends le vent du soir gémir dans la verdure…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et toi, rigide au fond du ciel tout ruisselant,
Secouant dans les eaux ton long voile brûlant,
Sur la mousse nacrée, en fine découpure,
Douce Lune du soir, douce Lune au front blanc !
— J’entends le vent du soir gémir dans la verdure.

Source du poème : Poésies, par Mlle Antonine COULLET, Revue des Deux Mondes, 5e période, tome 22 (1904), Livraison du 15 Juillet, pages 437–444. Transcription par Wikisource, corrigée d’après la numérisation des originaux des pages 441 et 442 de l’original.

Ceci est une version révisée d’un article précédemment publié sur Agapeta, 2017/06/05.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.