Dans ce poème dédié à Lucette Descaves, son professeur de piano qu’elle appelait « mon Amour », Minou Drouet lui retourne avec beaucoup d’humour le reproche que cette dernière lui avait fait d’être influençable. En fait, dit-elle, toute la nature est influençable, comme la mer qui porte le reflet du soleil.
L’INFLUENÇABLE
A. L. D.
qui m’avait reproché d’être influençable.
En me levant
j’ai regardé
la mer
la mer
a regardé
le ciel
et elle a chuchoté :
oh ! tu t’es habillé
en vieil argent ?
Ben moi je vais en faire autant.
Dites, vous ne trouvez pas, vraiment,
que la mer est influençable ?
Maman vient d’allumer
le feu
le feu
joyeux
a raconté
si tant de choses
que le fagot en devient rose
et les bûches en font autant.
Madame je crois que vraiment
ça se gagne l’influençable.
Sur mon piano
j’ai regardé
mon cher amour
(avec votre chapeau en tête
vous ne saurez jamais
qui c’est).
Sa bouche douce souriait
mais deux roses lui ont montré
comment le soir se refermer
sa bouche les a imitées.
Mon amour vous n’avez pas honte
de vous laisser contagionner
ainsi par tant d’influençable ?
Et mon amour a regardé
deux dattes d’un chaud brun doré
deux dattes laquées
par l’été
et ses yeux se sont habillés
en fruits veloutés.
Mon amour j’ai un peu pitié
de vous voir si influençable.
Mon amour fut se promener
au bois brûlé
par les grands rires de l’automne
et ses cheveux en ont gardé
le reflet d’écureuil volé.
Mon amour chéri c’est bien laid
d’être si tant influençable.
. . . . . . . . . . . . . . . . .
Seulement, moi, comme je vous aime
je vous ai prise dans mes bras
et mon cœur vous a inondée
de tant de milliers
de baisers
qu’il vous a toute déshabillée
de votre influençabilité.
Source du poème : Minou Drouet, Arbre, mon ami, Julliard (1956).
Précédemment publié sur Agapeta, 2017/05/21.