La publication des poèmes de Minou Drouet et ensuite l’histoire de son enfance ont toujours donné lieu à des allégations fantastiques, soit sur les supposés pouvoirs paranormaux de la fillette, soit sur l’influence télépathique ou l’emprise hypnotique de sa mère adoptive. Celle-ci d’ailleurs contribua pour une large part à ces spéculations.
En effet, Mme Claude Drouet s’intéressait à l’occultisme et se livrait à des pratiques divinatoires comme le tirage des cartes ou la lectures des lignes de la main. Dans L’affaire Minou Drouet, André Parinaud écrit que « Claude Drouet se reconnaissait des dons de voyance et possédait une certaine technique de la chiromancie » (page 225) et que « Mme Drouet est cartomancienne et se dit voyante » (page 235). Elle appliqua cette technique lors de l’adoption en juin 1949 de Minou, alors âgée d’un peu moins de deux ans. Parinaud relate en effet (page 226) : « Elle avait distingué dans les lignes de la main de l’enfant une belle destinée… Mme Drouet a déclaré qu’elle avait choisi Minou en examinant ses lignes de mains. »
Plus tard, Claude Drouet allégua des dons de voyance et de prémonition chez Minou. Ainsi l’article « Les enfants prodiges … » de Blog de lierre affirme :
Mais Minou Drouet n’était pas seulement, à cet âge, un poète génial. Sa mère nous a fait savoir que parfois, elle prévoyait avec exactitude une visite ou un décès, et donc qu’elle possédait un don de voyance à cette époque.
Ces propos sont repris et développés dans l’article « Voyance et Phosphénisme », qui les attribue au « Dr Lefebure ». Georgette Corot-Gélas, dans son livre Minou Drouet : ses messages de lumière, donne pages 79–80 plus de détails à ce sujet :
Les pouvoirs de Minou sont très étendus.
Certain jour qu’elle devait, pour la première fois, faire visite au peintre V…. dans l’après-midi, elle décrivit le matin l’appartement de l’artiste. Comme sa mère s’en étonnait, Minou lui répondit qu’elle était allée y faire « un petit tour à l’avance ».
Or, madame Drouet qui raconte l’histoire précise que, non seulement elle ne quitte pas sa fille d’une semelle, mais encore qu’elle a trouvé l’après-midi l’appartement tel qu’il lui avait été décrit le matin avec force détails.
Minou a prouvé qu’elle possédait la clairvoyance de la façon suivante, entre autres :
S’adressant à une personne amie, elle lui a parlé de son jardin et de l’homme qui y tombait mort derrière le cactus, indiquant la couleur de son costume.
Au grand étonnement de la dame, l’évènement décrit s’est produit quelques jours après.
Elle a des rêves prémonitoires précis : c’est ainsi qu’elle a vu mourir en songe une personne qui devait décéder subitement peu après.
Quand René Julliard publia en septembre 1955 les poèmes et lettres de Minou, la polémique sur leur authenticité prit plusieurs formes. Tout d’abord certains crièrent à la supercherie, que Claude Drouet aurait écrit elle-même les textes attribués à sa fille. Dans plusieurs articles précédents, j’ai évoqué la souffrance et l’indignation qu’exprima la fillette face à de telles accusations, et j’ai récemment donné le témoignage de Julliard ainsi que d’autres éléments dans le livre de Parinaud, qui montrent que Mme Drouet n’avait pas le talent permettant d’écrire des textes d’une telle qualité d’imagination.
Un autre angle d’attaque consista à invoquer une influence psychique occculte de Mme Drouet sur sa fille adoptive. En particulier l’écrivain Louis Pauwels, qui devait plus tard connaître une renommée douteuse par son livre Le matin des magiciens écrit avec Jacques Bergier, poussa à l’extrême de telles élucubrations occultes, qu’il agrémenta d’ailleurs d’insultes diverses (voir L’affaire Minou Drouet, pages 131–134). Tout d’abord, le 12 décembre 1955, il communiqua à France Soir une lettre de Claude Drouet aux Éditions du Seuil, datée du 24 mai 1948, dans laquelle elle proposait un « conte de fées » où « Une petite fille aveugle y révèle le monde merveilleux qu’elle a fini par créer dans son cœur pour s’y réfugier quand on la tourmente trop. » En effet, cette dernière phrase le frappa, il y vit le style des œuvres de Minou (qu’il qualifia de « pansement à l’eau bénite », « épaules serrées et maints jointes », « bêlements de bête traquée »). Il en déduisit que Mme Drouet avait adopté Minou afin « d’opérer un ‘transfert’ de sa mauvaise poésie maladive dans l’âme d’un enfant. », que pendant des années elle l’avait « possédée » au sens de l’occultisme. Il conclut : « Avec Minou, nous ne sommes pas en présence d’un cas d’enfant prodige. Nous sommes en présence d’un cas de sorcellerie. » Parinaud commenta à juste titre : « Il y a quatre siècles Mme Drouet allait tout droit au bûcher ! »
D’ailleurs, L’affaire Minou Drouet discute à plusieurs reprises de possibles phénomènes paranormaux concernant Minou. Parinaud demanda même l’avis d’un spécialiste de parapsychologie, qui examina plusieurs hypothèses (pages 232–238) : sa mediumnité, la communication télépathique ou la suggestion post-hypnotique par sa mère ; sur chacune, celui-ci se montra dubitatif, tout en reconnaissant la possibilité d’une « sensivité » et d’un « psychisme » particuliers de la fillette. Il rappela aussi que « la précocité de l’imagination et de l’expression poétique est un phénomène assez fréquent. » Enfin il suggéra qu’on soumette Minou et sa mère à des « tests de projection » et qu’on enregistre au magnétophone leurs conversations, afin de déceler une possible collaboration, éventuellement aux limites de l’inconscient.
Finalement, certains admirateurs de Minou ont proposé la plus extraordinaire des explications : elle serait un être spirituel supérieur, une sorte d’ange, descendu sur terre afin d’illuminer l’humanité. Le livre Minou Drouet : ses messages de lumière publié en 1958 par Georgette Corot-Gélas développe longuement cette thèse bizarre, confrontant page après page de courts extraits des poèmes ou lettres de Minou aux doctrines de l’occultisme, du spiritualisme et de la théosophie.
La couverture de dos de ce livre reproduit les éloges de Minou par plusieurs écrivains, mais également par un de ses premiers et plus enthousiastes partisans, le professeur Pasteur Vallery-Radot, de l’Académie Française, celui qui avait le premier parlé d’elle à René Julliard, le 25 avril 1955. Il écrivit les lignes suivantes, reprenant les thèmes spiritualistes des vies antérieures et des êtres venus d’ailleurs :
Minou… est simplement un être génial. Ses poèmes sont comme une eau fraîche qui coule sur notre esprit usé. Ses illuminations sont comme une clarté soudaine qui nous vient d’un autre univers. Chez elle, aucun apprêt, mais la réponse instantannée à l’impression ressentie : c’est l’art dans toute sa pureté. On reste ébloui par cette enfant exceptionnelle qui nous semble apporter un message d’« ailleurs » comme elle dit, où elle aurait vécu une vie antérieure. J’éprouve en la lisant la même émotion que j’eus en entendant « Pelléas » pour la première fois…
Ce qui unit ces trois thèses, la fraude, l’influence occulte de Mme Drouet, ou encore la supposée nature spirituelle supérieure de Minou, c’est de nier la possibilité qu’une petite fille de huit ans à l’intelligence normale puisse écrire des poèmes brillants et des lettres débordant d’images flamboyantes. Tous pensent que les enfants ne partageront jamais les dons des adultes les plus brillants.
Références :
- Blog de lierre, « Les enfants prodiges … », 20 janvier 2009.
- Éditions Phosphénisme – École du Dr Lefebure, « Voyance et Phosphénisme ».
- Georgette Corot-Gélas, Minou Drouet : ses messages de lumière, Les Éditions Véga (1958).
- André Parinaud, L’affaire Minou Drouet, Julliard (1956).
Précédemment publié sur Agapeta, 2017/11/10.