Printemps et Été, par Paul Verlaine

Frank Dicksee - Startled
Frank Dicksee – Startled (1892) – Royal Academy of Arts

L’expression ‘poète maudit’ désigne un poète incompris, chez qui le génie se mêle à un comportement asocial, s’illustrant par la bizarrerie, la provocation, la consommation d’alcool et de drogues, voire la sexualité débridée ; aussi ce n’est généralement qu’après sa mort qu’il connaitra la notoriété. On doit ce qualificatif à Paul Verlaine, qui publia en 1884 l’essai Les Poètes maudits, présentant trois auteurs insuffisamment connus : Tristan Corbière, Arthur Rimbaud et Stéphane Mallarmé. La troisième édition de 1888 en rajouta trois autres : Marceline Desbordes-Valmore, Villiers de l’Isle-Adam et… lui-même, sous l’anagramme Pauvre Lelian. Il ne pouvait en effet se cacher qu’il représentait l’archétype du poète maudit.

Sa poésie a illustré diverses formes d’amours maudits, notamment sa plaquette Les Amies consacrée à l’amour charnel entre femmes. Aujourd’hui je partage les quatrième (pages 11–12) et cinquième (pages 13–14) de ses six sonnets, qui forment en fait les deux moitiés d’un seul poème. Le sujet en est l’initiation érotique d’une jeune fille par une femme, ce qui reste à nos jours un amour maudit.

PRINTEMPS

Tendre, la jeune femme rousse,
Que tant d’innocence émoustille,
Dit à la blonde jeune fille
Ces mots, tout bas, d’une voix douce :

« Sève qui monte et fleur qui pousse,
Ton enfance est une charmille ;
Laisse errer mes doigts dans la mousse
Où le bouton de rose brille.

Laisse-moi, parmi l’herbe claire,
Boire les gouttes de rosée
Dont la fleur tendre est arrosée ;

Afin que le plaisir, ma chère,
Illumine ton front candide,
Comme l’aube l’azur timide. »

ÉTÉ

Et l’enfant répondit, pâmée
Sous la fourmillante caresse
De sa pantelante maîtresse :
« Je me meurs, ô ma bien-aimée !

Je me meurs ; ta gorge enflammée
Et lourde me soûle et m’oppresse ;
Ta forte chair d’où sort l’ivresse
Est étrangement parfumée.

Elle a, ta chair, le charme sombre
Des maturités estivales,
Elle en a l’ambre, elle en a l’ombre.

Ta voix tonne dans les rafales,
Et ta chevelure sanglante
Luit brusquement dans la nuit lente. »

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