Cette photo, extraite de la couverture d’un magazine distribué gratuitement par la municipalité de Strasbourg, montre des enfants âgés de 11 ou 12 ans s’avançant pour donner chacun une fleur à une vieille dame, la gratifiant de leur plus beau sourire. L’enthousiasme de ces personnes âgées saute aux yeux.
On dit parfois que les vieilles personnes représentent une source d’amour pour les enfants. Réciproquement, comme le montre la photo, les enfants leur apportent beaucoup d’amour, d’ailleurs seuls les enfants ne les jugent pas sur leur apparence décrépite et les acceptent comme elles sont.
Mais notre société bourgeoise a progressivement réduit les relations affectives entre adultes et enfants à l’étroit cercle familial, et au cours de ces dernières décennies empreintes de frayeurs et de haine, ce fossé entre générations a atteint un extrême caricatural, où toute relation personnelle entre un enfant et un adulte ne faisant pas partie de sa famille éveille les pires soupçons. Par conséquent l’enfant ne fréquente que des adultes exerçant sur lui une autorité sanctionnée par l’État : tout d’abord ses parents et ses grands-parents, puis les enseignants et le personnel scolaire, et parfois les policiers et les juges. L’enfant ne connaît des adultes que le pouvoir et la domination ; aucune amitié libre ne peut se développer entre enfants et adultes n’exerçant aucune autorité sur eux, on y voit le mal, ni l’État ni les parents ne l’acceptent.
Aussi, quand on parle d’amour entre vieillards et enfants, on sous-entend généralement les grands-parents chérissant leurs petits-enfants, et souvent heureux de ne pas devoir assumer le rôle de l’autorité parentale.
L’amour doit multiplier à l’infini les liens sociaux.
— Charles Fourier, Le Nouveau Monde Amoureux
La photo nous indique comment sortir de ce cadre familial étroit : n’importe quelle personne âgée pourrait aimer n’importe quel enfant et être en retour aimée de lui. Rien de plus triste que des vieillards vivant ensemble, et rien de tel que des enfants pour égayer leur vie. On pourrait placer les maisons de retraite à côté des écoles maternelles, comme certaines personnes l’ont expérimenté, ou loger les vieillards près d’écoles primaires.
Qu’en est-il d’Éros, l’amour au sens romantique et sexuel ? On tolère des vieux uniquement qu’ils le pratiquent « entre eux », toute tentative de relation amoureuse avec une personne plus jeune leur vaudra l’épithète méprisante de « vieux dégoûtant », alors qu’en réalité nombre d’entre eux en rêvent secrètement. Charles Fourier, dans son livre Le Nouveau Monde Amoureux écrit en 1817 mais publié seulement en 1967, entrevoit la possibilité en Harmonie Sociétaire de satisfaire tous les désirs amoureux ; même les vieillards et les handicapés pourront goûter aux charmes de relations intimes avec des personnes jeunes et belles, car le service amoureux aux personnes âgées, infirmes ou contrefaites sera considéré non pas comme une prostitution, mais comme la plus haute vertu, ouvrant à ses pratiquants la voie des honneurs et des plus hautes récompenses.
Cependant, comme nombre d’autres après lui, Fourier restreignait son monde amoureux aux adultes, maintenant une barrière érotique stricte avec les moins de quinze ans. On pourrait imaginer une société libre, où les relations entre générations ne seraient plus basées sur le pouvoir et la domination, et où l’âge ou la différence d’âges ne serait plus un obstacle à l’amour. Les relations humaines se justifieraient alors par d’autres critères, comme le respect de soi, le respect de l’autre et l’accord mutuel.
Ceci est une version révisée d’un article précédemment publié sur Agapeta, 2015/03/13.