La Maison de l’enfance, Prologue, par Fernand Gregh

Fernand Gregh
Fernand Gregh – source : Le Parisien

Le poète et critique littéraire français Fernand Gregh, né le 14 octobre 1873 à Paris, fut condisciple de Marcel Proust au lycée Michelet ; jeune homme, il continua à côtoyer celui-ci. En 1892 il fonda avec d’autres écrivains une revue intitulée Le Banquet qui publia ses premiers vers, ainsi que ceux de Proust et les écrits d’autres jeunes auteurs. Il fonda en 1902 l’école humaniste qui avait l’intention de rendre à la poésie sa tradition romantique, suivant Hugo et Lamartine. Il s’opposait aux Parnassiens et souhaitait limiter l’influence du symbolisme. Il fut président de la Société des gens de lettres en 1949-1950, et élu à l’Académie française en 1953. Il mourut le 5 janvier 1960 à Paris.

Sa poésie se montre lyrique et souvent sensuelle. En 1896 il publia le recueil La Maison de l’enfance, dont la première section, de même titre, évoque la nostalgie de l’enfance, avec un thème récurrent, le souvenir d’un amour perdu avec une petite fille dans un château secret. Le meilleur exemple en est le deuxième poème :

PROLOGUE

J’habitais autrefois une maison heureuse,
Aux jours du rêve, avant ma vie aventureuse.

Du seuil clair, des rosiers montaient jusqu’à son faîte,
Des oiseaux y faisaient une rumeur de fête.

Son vieux perron, de fleurs sans nombre était béni,
Et ses vitres s’ouvraient vastes sur l’infini.

Alentour un grand parc rêvait plein de statues,
Et des vasques dormaient dont les eaux s’étaient tues.

Des lys avaient disjoint les terrasses dallées ;
Les gazons verdoyaient aux anciennes allées,

Sinueuses entre deux rives de feuillage,
Ruisseaux d’herbes ayant des roses pour sillage.

Et mon âme pareille au grand parc solitaire
Etait pleine de fleurs, de ruine et de mystère…

La clef du parc, un soir, était tombée à l’eau,
Et je vivais captif au fond du vieux château,

Avec une autre enfant belle comme une femme,
Si belle qu’en l’aimant je crus aimer mon âme.

Hélas ! Et je baisai sa bouche, et je l’aimai,
Et nous nous sommes enlacés un jour de Mai.

Le vent brûlant mêlait au ciel les blanches nues,
Et ce fut comme si nos lèvres étaient nues…

L’air tiède se pâmait sous des brises ardentes,
Le silence des bois vibrait d’ailes stridentes.

Et nous crûmes sombrer dans une mer profonde,
Et pendant un moment nous fûmes seuls au monde…

Mais nous sentions mourir la blancheur de nos âmes ;
Nous fondîmes en pleurs quand nous nous éveillâmes.

La porte près de nous dans l’ombre ensoleillée
S’ouvrait ; à la serrure était la clef rouillée.

Nous nous dîmes adieu, pleurants, pour à jamais,
Je n’ai plus vu l’enfant très belle que j’aimais…

Et depuis je vais triste, étonné, sans défense.
J’ai jadis habité la Maison de l’Enfance.

Source du poème : Fernand Gregh, La Maison de l’enfance, Paris : Calmann Lévy (1900), numérisé sur Internet Archive. Le poème est page 5.

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