Nicolas Joubert, sieur d’Angoulevent fut un fou célèbre sous le règne d’Henri IV, surnommé Prince des sots ou de la sottise. En 1615 parut sous son nom un recueil intitulé Les satyres bastardes et autres œuvres folastres du cadet Angoulevent, dont le véritable auteur est inconnu.
J’y ai choisi un poème qui recommande à l’homme de ne pas se restreindre au lit conjugal, mais d’« aimer partout », les femmes de tous âges et de toutes conditions. Je le présente sous sa forme originale, en vieux français.
Qu’il faict bon aimer partout.
Quelque moyen qu’on espreuve
Pour son amour estancher,
Je ne voy point que l’on treuve
Chose qui doive fascher.
Si la paillarde on courtise,
Plus elle est duitte et apprise
Pour donner contentement
Car d’une pleine allegresse,
Elle remuë la fesse
Et les reins agillement.
Si l’amour d’une pucelle
Vient la poitrine saisir,
Quand on peut grimper sur elle,
N’est-ce pas un grand plaisir ?
L’homme n’est il pas de marbre,
Du fer et du cœur d’un arbre
Qui, voyant la fille ainsi
Se flechir à sa prière,
Ne ravit sa fleur première
Sans des lois avoir soucy ?
Quant aux filles de bas aage,
N’est-ce pas un passe-temps
Lorsqu’on prend leur pucelage
Un petit devant le temps ?
On aime plus une rose,
Qui est à demy déclose,
Qu’une qui espanoüit :
L’une est longuement vermeille,
Et l’autre, quand on la cueille,
Se sèche et s’esvanouit.
N’est-ce pas chose très-belle
Et un plaisir sans ennuy,
Quand on peut à sa cordelle
Tirer la femme d’autruy ?
On bastit sous couverture,
Et autrement on n’a cure,
Si elle engrossit ou non ;
Car, advienne qu’elle engendre,
C’est au mary de s’attendre
A secourir tout son nom.
Que si quelque veufve fresche
Nous a navrez à son tour,
Y a t-il rien qui empesche
Qu’on ne luy face l’amour ?
Ou bien s’elle aime le change,
Alors son amant la range
Aisément à son désir,
Et tant plus elle est friande
D’une nouvelle viande,
Plus il y a du plaisir.
Mais n’est-ce chose indécente
Quand, en s’abaissant plus bas,
Avec sa propre servante
On veut prendre ses esbats ?
Ce fils de Pelée brave
N’ayma-t-il sa belle esclave,
Et ce Telamonien,
L’honneur des princes de Grèce,
De sa servante Tecmesse
Ne fust-il pris au lien ?
Quant à moy, je ne voy ore
Que ce soit un deshonneur
D’aimer la servante encore
Dont un autre est le seigneur
La loy de Claude Sévère,
Par une autre loy contraire,
Est abolie aujourd’huy,
Et peut-on bien à son aise
Estaindre sa vive braise
Sur la servante d’autruy.
Ce grand cynique estoit doncques
Maussade, ignare et maudit,
Qui envers les femmes oncques
Ne trouva aucun credit,
Qui d’une voix effrontée
Seul chantoit son hymenée,
Et seul faisoit escrimer
Sa main encontre sa honte,
En voyant le peu de conte
Qu’elles faisoient de l’aimer.
Source du poème : Les satyres bastardes et autres œuvres folastres du cadet Angoulevent. Chez Anthoine Estoc à Paris (1615). Ouvrage numérisé sur Gallica. Le poème est pages 43 à 45.
Ce poème a été partiellement transcrit dans la collection de textes L’Univers sensuel, sexuel et sentimental de la Fillette impubère, au travers de l’Histoire, de l’Ethnographie et de la Littérature, Tome I : Interactions entre enfants par François Lemonnier. Merci à lui pour avoir attiré mon attention sur ce poème et sur ce recueil.