Aristide Bruant est né le 6 mai 1851 dans une famille bourgeoise à Courtenay dans le Loiret. Suite à la ruine de ses parents, il doit à 16 ans abandonner de brillantes études, il les rejoint à Paris et travaille comme ouvrier bijoutier. Il fréquente les restaurants pour pauvres et les cafés d’ouvriers, se mêlant aux classes populaire et apprenant leur langage.
Après la guerre franco-prussienne, il travaille à la Compagnie des chemins de fer du Nord. Il étudie les origines de l’argot et se met à écrire des romances. Le soir, il chante dans les goguettes, et écrit ses premières chansons. Puis il passe sur les scènes des cafés-concerts. Il se produit ensuite dans le Chat noir, un célèbre cabaret de Montmartre, et enfin crée son propre cabaret, le Mirliton. Son costume de scène a été immortalisé par la peinture de Toulouse-Lautrec :
En 1889, la publication du premier volume de Dans la rue, son recueil de chansons et monologues, illustré par Steinlen, fait sensation. Une dizaine d’années plus tard, devenu riche, il s’achète un château à Courtenay, sa ville natale. Au début du XXe siècle, il se retire de la chanson pour se consacrer à l’écriture. Il meurt le 11 février 1925 à Paris 18e.
La deuxième chanson du premier volume de Dans la rue décrit la vie d’une jeune prostituée :
A BATIGNOLLES
Sa maman s’appelait Flora,
A connaissait pas son papa,
Tout’ jeune on la mit à l’école,
A Batignolles.
A poussa comme un champignon,
Malgré qu’alle ait r’çu pus d’un gnon,
L’soir, en faisant la cabriole,
A Batignolles.
Alle avait des magnièr’s très bien,
Alle était coiffée à la chien,
A chantait comme eun’ petit’ folle,
A Batignolles.
Quand a s’balladait, sous l’ciel bleu,
Avec ses ch’veux couleur de feu,
On croyait voir eune auréole,
A Batignolles.
Alle avait encor’ tout’s ses dents,
Son p’tit nez, oùsqu’i pleuvait d’dan,
Était rond comme eun’ croquignolle,
A Batignolles.
A buvait pas trop, mais assez,
Et quand a vous soufflait dans l’nez
On croyait r’nifler du pétrole,
A Batignolles.
Ses appas étaient pas ben gros,
Mais je m’disais : Quand on est dos,
On peut nager avec eun’ sole,
A Batignolles.
A gagnait pas beaucoup d’argent,
Mais j’étais pas ben exigeant !…
On vend d’l’amour pour eune obole,
A Batignolles.
Je l’ai aimée autant qu’j’ai pu,
Mais j’ai pus pu lorsque j’ai su
Qu’a m’trompait, avec Anatole,
A Batignolles.
Ça d’vait arriver, tôt ou tard,
Car Anatol’ c’est un mouchard…
La marmite aim’ ben la cass’role,
A Batignolles.
Alors a m’a donné congé,
Mais le Bon Dieu m’a ben vengé :
A vient d’mourir de la variole.
A Batignolles.
La moral’ de c’tte oraison-là,
C’est qu’les p’tit’s fill’s qu’a pas d’papa,
Doiv’nt jamais aller à l’école,
A Batignolles.
Source de la chanson : Aristide Bruant, Dans la Rue, Chansons & Monologues, Dessins de Steinlen, Paris : Aristide Bruant, auteur éditeur (1889). Numérisé sur Internet Archive et sur Gallica. Le poème est le 2e, pages 15–21. L’ensemble des 3 volumes a été transcrit en hypertexte sur Wikisource ; j’y ai repris la transcription du poème, en y rétablissant la typographie originale, sans accent sur les majuscules.