Quand René Julliard publia les premiers poèmes de Minou Drouet en 1955, de nombreux critiques crièrent à la supercherie, affirmant que sa mère adoptive, Claude Drouet, en était le véritable auteur. Ainsi André Breton affirma, invoquant les travaux du psychologue Jean Piaget : « il n’est pas une enfant de cet âge et bien au-delà, qui puisse, par elle-même et à elle seule, écrire ce qu’on prête à Minou Drouet. » Dans un entretien avec André Parinaud, Michèle Perrein, reporter du journal Elle et principale propagandiste de la thèse de l’imposture, usa également d’un pareil argument :
Mais matériellement la doctoresse Dolto et le professeur Hoffer affirment qu’elle n’a pas pu en un an créer une œuvre aussi importante, de même qu’elle ne peut pas avoir acquis à huit ans la syntaxe, le vocabulaire, l’expérience sociale qu’elle révèle dans ses lettres.
— André Parinaud, L’affaire Minou Drouet, p. 183
L’attitude de Madame Drouet face aux reporters et enquêteurs alimenta également la suspicion. Dans Science et Vie n° 461 de février 1956, Monique Senez souligna qu’elle montrait une grande confusion quant aux dates des événements importants de sa vie, comme la période de son enfance où elle souffrit de cécité, l’année de la mort de son père, le jour de naissance de Minou, l’âge de celle-ci lors de son adoption, etc. Elle exagérait également sa mauvaise vue (« Mais je n’y vois rien ! »), alors qu’elle était capable de préciser la teinte des yeux de Minou ou de de commmenter des détails sur des photographies, et qu’elle donnait des cours de sténographie.
Michèle Perrein affirma aussi dans l’entretien avec André Parinaud :
La mère parlait tout le temps, répétait les astuces de Minou (faites dans l’intimité) et mentait. Sur tout et à propos de tout. De pures et simples contradictions aux mises en cause de témoins qui se sont récusés par la suite. Comme elle mentait sur l’origine de Minou. Et sans qu’on lui demande rien. Celui qui n’a rien à cacher ne ment pas, ce n’est pas la peine.
— André Parinaud, L’affaire Minou Drouet, p. 179
Effectivement Mme Drouet affirma que les parents biologiques de Minou étaient morts en mer, alors qu’elle était la fille d’une mère célibataire qui renonça par écrit à ses droits parentaux, mais c’était pour protéger la réputation de Minou, à une époque où la honte frappait les « enfants illégitimes ».
Minou prouva qu’elle était capable d’écrire les poèmes publiés en son nom, tout d’abord fin novembre 1955 quand les époux Julliard l’accueillirent chez eux, sans sa mère, et qu’elle y composa des poèmes, ensuite en janvier 1956 quand elle réussit son examen d’admission à la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique : laissée seule dans une pièce sans téléphone, elle dut composer un poème sur un de deux sujets imposés, et choisit d’écrire « Ciel de Paris », poème publié dans son deuxième recueil, Le Pêcheur de lune (1959).
Par contre on peut montrer que Claude Drouet aurait été incapable de composer les poèmes de Minou. En effet, elle avait déjà écrit plusieurs textes, dont certains furent publiés dans des revues de troisième ordre, et ces derniers font preuve de banalité, loin du style flamboyant et de l’imagination fulgurante de Minou. René Julliard en avait connaissance, et il déclara dans France Soir du 13 décembre 1955 :
Je lui ai demandé si elle avait écrit des vers. Bien sûr, m’a-t-elle répondu, quand j’étais jeune. J’avais dix-huit ou dix-neuf ans lorsque j’ai soumis un poème de cent alexandrins à un concours de jeux floraux qui ne l’a pas primé. Je n’ai jamais écrit de vers depuis. Par contre, j’ai écrit plusieurs choses en prose. J’ai été totalement aveugle pendant sept années de ma vie. C’est à la suite de cela que, une fois guérie, j’ai rédigé une féerie sur le rêve que peut faire une petite fille aveugle. Ce conte, je l’avais soumis également, en 1925 ou 1926, a un concours de jeux floraux (Calais ou Nice), mais il ne fut pas publié. Beaucoup plus tard, en 1948, j’ai adressé ce texte, légèrement remanié, à un éditeur parisien. Il m’a été renvoyé presque sans commentaires.
[…]
J’ai eu connaissance de ces écrits, à l’exception du poème en alexandrins, qui n’a pas encore été retrouvé, et je dois dire, sans vouloir être désagréable à son auteur, que la platitude de ces textes m’a parfaitement rassuré. Cela n’a aucun point commun avec ce qu’écrit Minou ou ce qu’elle improvise au cours d’une libre conversation. Quand j’ai vu qu’on mettait en cause Mme Drouet, j’ai failli publier moi-même tous ces textes mais j’ai pensé que cela serait désobligeant pour la mère de Minou et n’apporterait qu’une preuve négative donc sans valeur.
— André Parinaud, L’affaire Minou Drouet, pp. 117–118
Dans sa “Note de l’éditeur” préfaçant Arbre, mon ami (1956), le premier recueil de Minou, il rappela :
Mme Drouet a écrit naguère et envoyé à des “Jeux floraux” de province un conte et un poème, puis quelques articles d’une inspiration et d’un ton d’ailleurs tout autres que ceux de Minou.
Dans une lettre du 24 mai 1948 aux Éditions du Seuil, Mme Claude Drouet aurait proposé un « conte de fées » où, écrivait-elle, « Une petite fille aveugle y révèle le monde merveilleux qu’elle a fini par créer dans son cœur pour s’y réfugier quand on la tourmente trop. » (Voir Science et Vie n° 461, p. 35, et L’affaire Minou Drouet, p. 132).
Je n’ai trouvé aucun trace de ce conte ni du poème en alexandrins, mais L’affaire Minou Drouet reproduit deux textes de Claude Drouet. Tout d’abord (pp. 162–166) un article intitulé « Pauvres pêcheurs ! » publié dans Témoignage chrétien du 10 octobre 1947. Ensuite (pp. 166–175) une petite nouvelle intitulée « Le pain d’épices » publiée dans France 49 n° 81 du 30 janvier 1949, sous le nom de Claude Maurice. Les deux textes présentent une vision misérabiliste des familles pauvres, et leur style reste toujours banal, sans aucune métaphore ou image approchant de loin celles de Minou.
Parinaud publia également (pp. 176–178) une lettre du capitaine L. Le Roc’h, datée du 6 décembre 1955. Celui-ci racontait qu’il lança une revue appelée Entre Français, et que Mme Drouet y contribua de manière bénévole plusieurs articles, signés de divers pseudonymes, mais aucun poème. Il ajouta :
Aussi ai-je été surpris — disons le mot, suffoqué — quand j’ai appris que la malignité publique lui attribuait des poèmes, ceux-ci fussent-ils ceux d’une enfant.
Je viens de lire quelques-unes des poésies de Minou Drouet : leur inspiration et leur facture n’ont rien à voir avec les thèmes usuels et la manière de Claude Drouet, que j’estime bien connaître.
On peut aussi présenter d’autres éléments mettant en évidence la différence de personnalités entre Minou et sa mère adoptive, cette dernière se montrant nettement plus étriquée et moins créative. Le Science et Vie n° 461 fit appel à des psychologues et graphologues pour analyser leurs écritures et dessins. Sans apporter foi aux détails de leurs interprétations, invérifiables d’ailleurs, on remarquera la différence marquée entre les deux écritures :
Plus intéressant encore, ils comparèrent l’écriture de Minou avec celles d’une fillette de 8 ans et de Jean Cocteau, et remarquèrent que Minou écrit plus comme le poète que comme l’écolière :
Enfin, voici un dessin de Minou représentant deux arbres avec « deux mains pour attraper le ciel », et ensuite celui de sa mère adoptive montrant un arbre nu et squelettique ; sans commentaires !
Dans des articles précédents, j’ai reproduit des extraits de lettres de Minou, exprimant la blessure qu’elle ressentit face aux accusations d’imposture. Les documents disponibles tranchent la question : les poèmes et lettres publiés sous son nom sont tous d’elle, et pas de Mme Claude Drouet.
Référence :
- André Parinaud, L’affaire Minou Drouet, Julliard (1956).
- Monique Senez (avec François Volvère, Denise Petiet, Françoise Villier-Bloch, Pierre Foix et Dr. G…), “Le secret des Drouet,” Science et Vie n° 461, février 1956, pages 26–39 puis 120–122.
Précédemment publié sur Agapeta, 2017/09/26.