La Petite Cousine, par Clovis Hugues

Photographie post mortem
Photographie post mortem – provient de VK

Le poème suivant, écrit à l’âge de 20 ans, évoque un amour d’enfance, une cousine rencontrée pendant les vacances, dont le souvenir se réveille à la mort de celle-ci. Il rappelle les deux sonnets de Nicolas Boileau sur la mort d’une parente. Il parut dans le recueil Les Soirs de Bataille publié en 1883 par Alphonse Lemerre, puis dans d’autres collections.

LA PETITE COUSINE

Un jour, vint à notre maison
Une petite demoiselle,
C’était au temps de la moisson ;
J’étais en vacances comme elle.

Un beau sourire triomphant
Étoilait sa lèvre mutine.
Ma mère me dit : « Mon enfant,
Voilà ta petite cousine ! »

J’avais alors douze ans : c’était
L’âge qu’avait aussi Marie,
Et pour nous l’oiseau bleu chantait
Sur la même branche fleurie.

J’avais un esquif de bouleau
Pavoisé d’un brin d’aubépine :
Je courus le lancer sur l’eau
Avec ma petite cousine.

Or, comme nous tendions le cou
Vers l’onde pleine de lumière,
Son pied glissa sur un caillou ;
Elle tomba dans la rivière.

Mais sa main ne me quitta pas,
Et sur une berge voisine
Je pus l’emporter dans mes bras,
Ma pauvre petite cousine !

Pendant que le soleil séchait
Sa robe suspendue aux branches,
Notre mère l’endimanchait
Dans mon habit des grands dimanches.

Mon chapeau semblait à dessein
Pencher sur son oreille fine :
Oh ! le charmant petit cousin
Qu’était ma petite cousine !

Quand il fallut nous séparer,
Les vacances étant finies,
Nous fûmes une heure à pleurer,
Nos mains tout doucement unies.

Puis, la fleur des vagues amours
Au fond de mon cœur prit racine ;
Et dans mes livres, tous les jours,
Passait ma petite cousine.

Un matin que j’étais seulet,
J’embrassais dans ma rêverie
Le chapeau qui me rappelait
Les cheveux mouillés de Marie.

On vient, on m’appelle au parloir…
Hélas ! tout est deuil et ruine :
Le soir, j’avais un crêpe noir
Sur le chapeau de ma cousine.

Depuis, j’ai regretté souvent
Les jours heureux de mon enfance,
La rivière où chantait le vent,
L’amour où chantait l’innocence.

Je livre au sort de longs combats,
Et souvent ma tête s’incline…
Heureux qui n’a pas ici-bas
Perdu sa petite cousine !

Avril 1872.

Source du poème : Poésies choisies de Clovis Hugues, Collection Petite bibliothèque universelle, Paris : Librairie des publications à 5 centimes (1886), numérisé sur Gallica (disponible en PDF). Le poème est page 17. On le trouve aussi dans : Anthologie des poètes français du XIXème siècle, Alphonse Lemerre, éditeur (1887-1888), Volume 3, pages 385–392, transcription hypertexte sur Wikisource.

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