Juste Orgueil, par Rémy Broustaille

Portrait de Rémy Broustaille
de Broca – Portrait de Rémy Broustaille – dans Les emmurées ; Rose Frou-Frou, roman-poème

On ne connaît presque rien de la vie de l’écrivain français Rémy Broustaille. Seules nous restent quelques-unes de ses œuvres, publiées aux alentours de 1900, numérisées par la BNF sur son site Gallica, puis republiées par Hachette. L’auteur, familier de Montmartre, s’intéressait particulièrement aux « gueux », les pauvres et déclassés urbains, et nombre de ses poèmes incluent de l’argot. Un thème y revient fréquemment : les jeunes filles pures que la misère réduit à la prostitution. Il dénonce aussi les guerres, les violences, l’avidité et l’égoïsme des riches, mais son pessimisme concernant la corruption innée du genre humain ne lui donne pas d’autre perspective que la rédemption des prostituées et des misérables par le Christ.

En 1894 il publia Bizarres, un recueil de poèmes et courts textes en prose. J’y ai choisi dans la section Pour Rire un poème qui n’est pas pour rire : un vieil homme triste confie sa solitude à une petite fille qui l’écoute et le console.

JUSTE ORGUEIL

Un vieux monsieur aux cheveux blancs,
Les paupières à demi closes,
Contemplait les ébattements
D’un groupe de fillettes roses.
Il souriait et cependant
Il pleurait en les regardant,
Lorsque, laissant cerceaux, raquettes,
Vers lui vint une des fillettes.

Ses grands yeux noirs ensoleillaient
Sa fraîche et mutine figure,
Sur ses épaules ruisselaient
Les ors fins de sa chevelure…
Elle dit : « Bon monsieur bien vieux,
J’ai vu des larmes dans vos yeux,
Je viens pour vous faire sourire ;
Vos chagrins, il faut me les dire ».

Il répondit : « Comme il vous plaît ».
Alors, dans un très doux langage,
Il lui conta comme il souffrait
D’être seul au monde, à son âge,
Sans nulle personne à chérir :
Végéter toujours et souffrir
Sans entendre un mot de tendresse,
Sans recevoir une caresse.

Avec un regard triomphant,
Une douce voix de sirène,
Lorsqu’il eut terminé, l’enfant
Lui causa, la main dans la sienne ;
Il était là, le pauvre vieux,
Les yeux rivés sur les grands yeux
De la mignonne aux boucles folles,
Haletant, buvant ses paroles.

Une vieille, en tablier blanc,
Observait l’homme et la fillette.
En les voyant quitter leur banc,
Partir en faisant la causette,
Radieuse, elle s’écria :
« Qu’ça fait donc plaisir de voir ça !
Foi de grand’ mèr’ mon œil se mouille.
… Jamais ell’ ne rentre bredouille ».

Source du poème : Rémy Broustaille, Bizarres, Paris : Bibliothèque de La Plume (1894), numérisé sur Gallica. Le poème est page 46.

Ce poème a été transcrit dans la collection de textes L’Univers sensuel, sexuel et sentimental de la Fillette impubère, au travers de l’Histoire, de l’Ethnographie et de la Littérature, Tome I : Interactions entre enfants par François Lemonnier. Merci à lui pour avoir attiré mon attention sur ce poème et sur ce recueil.

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