La Tisane, par Clovis Hugues

Eugenio Cuttica - Luna y Orquideas Raras
Eugenio Cuttica – Luna y Orquideas Raras (2017)

Voici mon deuxième choix de vers du recueil Les évocations : poésies, dans le Livre Quatrième intitulé Pour les bébés, consacré à l’enfance. Le poète se soigne avec un tisane faite à base de fleurs qui ressemblent à des étoiles. Cela attise la curiosité de sa fille, et stimule son imagination créative. Elle se montre alors un vrai poète.

LA TISANE

J’étais malade, je toussais,
J’allais devant moi, tout morose.
Les amis me disaient : « Tu sais ?
Soigne-toi, l’homme est peu de chose. »

Devant cet arrêt net et sec,
Je buvais, en mes nuits troublées,
Une tisane faite avec
De petites fleurs étoilées.

Tout a pitié de la douleur,
Et la nature maternelle
Nous fait sourire par la fleur,
Nous fait aussi guérir par elle.

Le soir, quand on m’avait servi
Ma très poétique tisane,
Marianne avait l’œil ravi ;
Car tout étonnait Marianne.

L’astre émergeant du ciel lointain,
L’été fleurissant la prairie,
Tout dans son babil enfantin
Se nuançait en rêverie.

Je traduis son étonnement :
Que voulait-on lui faire croire ?
Les fleurs, c’était tout plein charmant ;
Mais elles n’étaient pas pour boire !

Et puis, elle admirait un peu,
Le spectacle en valait la peine !
L’étrange reflet rose et bleu
Qui flottait dans la porcelaine.

Un soir, comme je lui montrais,
Avec mille caresses d’âme,
Les constellations, forêts
Dont chaque branche est une flamme,

Le bébé, soulignant du doigt
L’espace où nos yeux se hasardent,
Me dit : « Les étoiles qu’on voit,
N’est-ce pas des fleurs qui regardent? »

Que faire ? Je ne suis pas sûr,
Tant j’idolâtre ma démence !
Que l’astre, environné d’azur,
Ne soit pas une rose immense ;

J’ai toujours souhaité d’aller
Regarder la comète éclore
Comme on regarde s’étoiler
La petite fleur qu’avril dore ;

Et je me demande tout bas,
Au nez des bons bourgeois honnêtes,
Si les vastes cieux ne sont pas
Le grand jardin bleu des planètes !

L’enfant est pur, doux et profond.
« Oui, ma mignonne, répondis-je,
Les étoiles que tu vois sont
Des fleurs dont nul n’a vu la tige ! »

Je m’étais assis, tout songeur.
La nuit fauve et sans clair de lune
Mettait une vague rougeur
Tout autour de sa tête brune.

Elle réfléchit un moment,
Le front penché, les lèvres closes :
On eût dit que le firmament
Allait laisser pleuvoir des roses.

Je repris sur un ton câlin :
« Quand tu seras un peu plus grande,
Nous cueillerons là-haut tout plein
De jolis soleils en guirlande ! »

Et, tandis que je regardais
Au bas de la voûte éternelle
L’horizon s’ouvrir comme un dais,
Tout criblé d’astres derrière elle ;

Elle me dit, levant ses bras
Dans l’infîni des cieux sans voiles :
« Je ferai, quand tu tousseras,
De bonnes tisanes d’étoiles! »

Avril 1883.

Source du poème : Clovis Hugues, Les évocations : poésies, Paris : G. Charpentier (1885), numérisé sur Internet Archive. Le poème est page 178. J’ai corrigé une faute de frappe.

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