Lettre de Minou Drouet à sa mère

Roger Hauert - Minou Drouet
Roger Hauert – Minou Drouet – dans Poèmes (1956)

Quand René Julliard fit paraître en septembre 1955 une plaquette hors commerce comprenant une sélection de poèmes et de lettres de Minou Drouet, une virulente polémique agita la presse pendant plusieurs mois, principalement sur leur authenticité ; nombreux affirmèrent qu’une enfant de 8 ans ne pouvait pas écrire avec autant de brio et d’intelligence. Plusieurs journaux (dont Elle) affirmèrent qu’il s’agissait d’une imposture, que sa mère (adoptive) était le réel auteur de ces textes. Cette controverse, en particulier ces accusations, heurtèrent profondément Minou.

Afin de tester les capacités littéraires de Minou, les époux Julliard l’accueillirent chez eux, sans sa mère, fin novembre 1955. Comprenant très bien le sens de ces doutes sur l’authenticité de ses textes, elle écrivit le 27 novembre une lettre poignante à sa mère, que France-Soir publia le 1er décembre. On y voit sa sensibilité déchirée, son sentiment d’éloignement, et même un désir de mort.

Je donne d’abord la version publiée par André Parinaud dans L’affaire Minou Drouet, pages 103-104.

Ma maman chérie,

Reviens, je reste quelque chose de tendu comme un cri vers toi, tu es mon manque, mon besoin. C’est effrayant de voir comme tu ne sais pas être une présence. Reviens me chercher, m’emmener dans les murs dont mes doigts savent la peau, dans les couleurs dont mon cœur sait les vibrations.
Ici, on m’aime, mais entre la voix des autres, le cœur des autres et mon cœur il y a le vide. Il faut que leur voix parcoure des kilomètres pour arriver jusqu’à moi. Je suis pareille à un vieux château-fort tout triste, tout entouré de douves. Il faut que leur voix les traverse pour arriver jusqu’à moi, maintenant leur voix ne les traverse plus. Autour de moi il y a une odeur de déjà plus. Les gens sont tellement méchants pour moi qu’ils ont fait de moi un effrayant chat dont on a coupé les moustaches. Avant je percevais les vibrations que chantent les couleurs et les odeurs. Le pauvre animal si effrayant qu’on a fait de moi est devenu sourd comme les autres. Entre les autres et moi, j’entendrais vibrer des notes, maintenant je n’entends plus que le chagrin, la peur et l’horreur.
Je me demande s’il y a un Dieu.
S’il y en a un, comme je le plains.
Ma grande faute est d’avoir huit ans, un cœur qu’entendait battre le cœur des couleurs, et des odeurs.
Ma maman, j’ai eu trop mal. Reviens. Si tu ne viens pas vers moi, je vais aller vers toi. On m’a fait tant de mal que je ne sentirai rien.
Rien n’est difficile. Une fenêtre va ouvrir ses bras comme deux ailes, et le vide qui me sépare du monde sera les bras qui me recevront si les tiens ne sont pas venus me chercher. Je n’ai pas peur. Brusquement je viens de comprendre que la mort n’est pas une fin, elle est simplement une vibration qui se transpose. Je glisse mes bras autour de ton cou et mon petit cœur est tout habillé de tristesse.

Je donne ensuite la version publiée dans le premier recueil de Minou, Arbre, mon ami, pages 113-114. Elle diffère de la précédente de plusieurs manières, par l’absence de découpage en paragraphes, quelques modifications de mots et la suppression de la phrase « Autour de moi il y a une odeur de déjà plus. »

Lettre à Mme Claude Drouet
(dont Minou était séparée)

Ma Maman chérie, reviens, je reste quelque chose de tendu comme un cri vers toi, tu es mon manque, mon besoin. C’est effrayant de voir comme tu ne sais pas être une présence. Reviens me chercher, m’emmener dans les murs dont mes doigts savent la peau, dans les couleurs dont mon cœur sait les vibrations. Ici, on m’aime, mais entre la voix des autres, le cœur des autres et mon cœur il y a le vide. Il faut que leur voix parcoure des kilomètres pour arriver jusqu’à moi. Je suis pareil à un vieux château fort tout triste, tout entouré de douves. Il faut que leur voix les traverse pour arriver jusqu’à moi, maintenant leur voix ne les traverse plus. Les gens sont tellement méchants qu’ils ont fait de moi un effrayant chat dont on a coupé les moustaches. Avant je percevais les vibrations que chantent les couleurs et les odeurs. Le pauvre animal si effrayant qu’on a fait de moi est devenu sourd comme les autres. Entre les autres et moi, j’entendais vibrer des notes, maintenant je n’entends plus que le chagrin, la peur et l’horreur. Je me demande s’il y a un Dieu. S’il y en a un, comme je le plains. Ma grande faute est d’avoir huit ans, un cœur qui entendait battre le cœur des couleurs et des odeurs. Ma Maman. J’ai eu trop mal. Reviens. Si tu ne viens pas vers moi, je vais aller vers toi. On m’a fait tant de mal que je ne sentirai rien. Rien n’est difficile. Une fenêtre va ouvrir ses bras comme deux ailes et le vide qui me sépare du monde sera les bras qui me recevront si les tiens ne sont pas venus me chercher. Je n’ai pas peur. Brusquement je viens de comprendre que la mort n’est pas une fin, elle est simplement une vibration qui se transpose, je glisse mes bras autour de ton cou et mon petit cœur est tout habillé de tristesse.

Références :

  • Minou Drouet, Arbre, mon ami, Julliard (1956).
  • André Parinaud, L’affaire Minou Drouet, Julliard (1956).

Précédemment publié sur Agapeta, 2017/06/15.

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