Lettres de Minou Drouet à Lucette Descaves

William-Adolphe Bouguereau - Fardeau Agréable
William-Adolphe Bouguereau – Fardeau Agréable (1895) -The Athenaeum

Vous voulez bien fermer un petit peu vos si jolis rayons de miel sur mes fautes et me laisser vous embrasser parce que je vous aime bien et que votre figure sent mon jardin le matin, et j’embrasse la dame au col blanc.
— Minou Drouet, Lettre à Lucette Descaves, Arbre, mon ami, p. 73

Dans sa petite enfance, Minou Drouet s’ouvrit au monde grâce à la musique, qui devint sa grande passion. Aussi ses premiers sentiments de type amoureux s’adressèrent à Lucette Descaves, son professeur de piano, qu’elle appelait « mon Amour » et à qui elle écrivit de belles lettres emplies de tendresse. J’ai déjà reproduit dans un précédent article certaines d’entre elles, qui illustraient son univers fait de musique et d’odeurs. Ici je présente des extraits de plusieurs autres lettres, exprimant toute la puissance de la passion qui animait cette petite fille de huit ans. Pleines de poésie, elles font appel à des images frappantes, et certaines contiennent des vers.

Madame mon Amour, je finissais par devenir idiote de ne pas vous écrire, mes yeux sont moins rouges alors j’ai la permission de vous écrire un peu. Comme je voudrais pouvoir faire tenir en un mot toute ma tendresse, tout mon amour, toute ma joie vous la tendre en un seul mot comme notre pêcher me tend tout le printemps dans un seul bouquet si fragile si rose si transparent si chantant de lumière toute neuve qu’on n’a pas besoin de regarder le calendrier pour savoir en quelle saison on vit, on regarde le pêcher, il vous crie que le printemps est là. Dans mon cœur aussi il est là, à cause de deux olives noires baguées de caramel qui me regardent bien droit quand je me mets devant la glace, deux olives noires petites cages couleur de nuit
mon amour a fait éclore
deux oiseaux d’or
deux pétales de lumière
tout le cœur
de votre Minou
est enclos.
— Minou Drouet, Lettre à Lucette Descaves, Arbre, mon ami, pp. 81-82

Le poème suivant, extrait d’une longue lettre, semble étrange, Minou parle de différences d’odeur et répète à Mme Descaves « Vous avez l’odeur des petites filles heureuses ». Il est question « des petites filles heureuses et des autres » sans qu’on sache vraiment auxquelles Minou appartient, ou si elle fait partie des unes ou des autres suivant le moment. Et il y a les Mamies qui donnent des gifles, allusion à la sévérité de sa grand-mère adoptive.

Il y a des choses que vous ne pouvez pas comprendre ; entre vous et moi petites filles il y a la différence d’une odeur, vous avez l’odeur des petites filles heureuses que le bonheur
borde chaque soir
il y en a que la peine
borde dans leur lit
que la peine borde
comme on enterre
à grands accords profonds
pour être sûr qu’au matin
elles ne seront pas envolées.

Vous avez l’odeur
des petites filles heureuses.
Le cœur des Mamies
des petites filles heureuses
et des autres
est comme un distributeur
à chouinngomme.
La petite fille heureuse
y glisse un sourire
et il en sort des baisers
les autres petites filles
y glissent un mot maladroit
de ces mots qui cueillent
les anses des tasses
comme des mains gourdes de froid
et du cœur de la mamie
pas heureuse
d’avoir une petite fille heureuse
il sort une gifle
ou un mot qui claque plus fort
vous avez l’odeur
des petites filles heureuses
à qui ont dit :
mon trésor, tu as mal ?
et qui ne savent pas
qu’on en a pour cinq cents francs
au docteur.

Mon Amour
laissez-moi rouler ma tête
sur vous
pour que je me roule
dans cette odeur
que personne
jamais
ne sentira sur moi.
Vous pouvez pas savoir comme je vous aime il n’y a pas de mots capables de vous le dire, les mots mettent toujours une limite à tout, il n’y a que le silence qui est sans limite et ma tendresse est comme lui.
— Minou Drouet, Lettre à Lucette Descaves, Arbre, mon ami, pp. 91–93

Oui, les enfants peuvent aimer avec autant de force que les adultes, et leur amour n’est pas un enfantillage sans importance.

Je vous aime. Croyez pas non plus que j’avais envie de manger chez Monsieur Julliard, ah non, j’abominationne manger chez quelqu’un à part vous qui êtes mon amour. Comme je vous aimais décoiffée le matin de mon retour, vous aviez l’air d’un minou qui a joué dans la rosée ; j’embrasse mon minet bien aimé et je le regarde avec des yeux plus divorcés des yeux qui lui disent un merci si heureux de les avoir mariés.
— Minou Drouet, Lettre à Lucette Descaves, Arbre, mon ami, pp. 85-86

Source des citations : Minou Drouet, Arbre, mon ami, Julliard (1956).

Précédemment publié sur Agapeta, 2017/05/06.

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